Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ? Chapitre IX : Le deuil

Article : Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ?  Chapitre IX : Le deuil
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28 avril 2019

Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ? Chapitre IX : Le deuil

« Le bonheur et le malheur sont comme le jour et la nuit, ils se suivent »

Une semaine après le mariage, le couple Khadija-Chérif était parti en lune de miel à Boffa bel-air, pour passer une semaine en « amoureux » dans un cadre paradisiaque loin du bruit de Conakry. Pour Chérif c’était surtout une stratégie pour briser la glace entre eux et discuter de leur avenir commun. La stratégie de Chérif s’est révélée gagnante puisque Khadija était devenue beaucoup plus décontractée, ouverte et rayonnante même si ce lugubre pressentiment continuait encore. Elle était comme une personne qui avait des « dillé* » sur elle. Chérif par contre, plus il poussait les discussions, plus il se rendait compte de la culture générale de Dija.

Il leur restait deux jours encore avant la fin de leur séjour. Ce matin du vendredi 06 juin 2008, une migraine clouait Khadija au lit ce qui l’empêchait de se lever. Chérif quant à lui était entrain de lire son bouquin lorsque la sonnerie de son téléphone retentit, à l’autre bout du fil Ousmane le frère de Khadija porteur d’une mauvaise nouvelle. Plus il parlait, plus Chérif affichait un air triste qu’il essayait tant bien que mal à dissimuler. Après avoir raccroché, il demanda à Dija de se préparer pour rentrer sans lui fournir d’explications sur la raison qui a conduit à écourter leur séjour.

Durant tout le trajet, Chérif avait le visage impassible et répondait par monosyllabe à Dija qui insistait pour savoir pourquoi ils rentraient à la hâte ?

Dans la tête de Chérif, beaucoup de questions se bousculaient comment allait-il s’y prendre pour annoncer la nouvelle à son épouse ? Comment va t-elle prendre la nouvelle ? Son oncle était-il mort d’une crise cardiaque ? En effet, Ousmane lui avait annoncé la nouvelle sans rentrer dans les détails.

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« Jamais Dieu ne nous accable d’un fardeau plus lourd que ce que nous pouvons porter. »

Ce matin du vendredi, père Dija avait insisté pour que son fils le conduise à la mosquée pour faire la prière de Fajr. Il était loin de s’imaginer que c’est la dernière qu’il pratiquera ici bas. A leur retour de la mosquée, il fit pleins de Dou’as à son fils et à sa femme. Dans une voix emprunt de mélancolie, il exprima à cette dernière toute sa gratitude pour le soutien et la patience dont elle a fait preuve durant ces longues années de mariage. Pour finir, il exhorta Ousmane de veiller sur tout le monde surtout sur sa mère et Dija.

Mère Dija et Ousmane trouvèrent son attitude étrange, mais ils ne firent pas de commentaires et ne posèrent pas de questions.

Père Dija regagna sa chambre avec l’aide de son épouse, il demanda à ce qu’on ne le dérange pas, ni même pour le petit déjeuner qu’il avait l’habitude de prendre avec sa famille. Sa femme était une nouvelle fois intriguée, mais encore une fois elle ne fît pas de commentaires. Elle se contenta d’acquiescer et sortir de la chambre.

Il était dix heures lorsque mère Dija rentra pour vérifier si son mari était réveillé, à sa grande surprise elle le trouva dans la même position qu’elle l’avait laissé, il semblait être dans un profond sommeil ; elle ressortie pour continuer à vaquer à ses occupations. A son retour du marché une heure trente minutes plu tard, elle rentra dans la chambre cette fois-ci décidée à réveiller son mari. Il était toujours couché dans la même position et là elle commença à paniquer. Elle appela son fils Ousmane, ce dernier rentra en trombe dans la chambre. Il appela son père trois fois sans réponses puis le secoua, mais son corps était raide et froid. Il comprit que c’était fini, que son papa était parti, mort en silence dans son sommeil et personne ne savait l’heure de son décès. Alors il déclama pour lui la shahada : «  Lâ illâha ill’Allâh oua Mouhammad rassoulla Allâh » ( Il n’ y a de divinité que Dieu et Mouhammad est Son envoyé ). Mère Khadija qui était restée de marbre tout ce temps, sortie de sa léthargie après avoir entendue son fils prononcé la shahada, elle comprit que s’en était fini pour son époux. Elle mit ses mains sur la tête, prononça la shahada aussi et commença à pleurer. Elle retenait difficilement ses sanglots entremêlés par ses cris de désarroi.

Petit à petit, la nouvelle se répandait et les gens affluaient pour présenter les condoléances. Certaines femmes se jetaient dans les bras de mère Khadija pour exprimer leur compassion et faire l’éloge du défunt. Voisins, amis, collègues, sages de la mosquée ; tout ce beau monde était unanime quant à la bonté, piété, serviabilité, humilité et amabilité du défunt.

Chérif n’avait finalement pas pu trouver les mots adéquats pour annoncer à Khadija la perte de son père. Il avait préféré se dérober, sa langue n’avait visiblement pas été bien fendue pour annoncer ce genre de nouvelle. Ils arrivèrent à Conakry sans problème, Khadija voyant son mari emprunté une autre direction outre que celle de leur domicile se mit à douter de quelques choses. Elle ne fît pas longtemps pour reconnaître le chemin qui mène au domicile de ses parents et là, son cœur commença à battre la chamade.

Dès que Dija franchit le seuil de la porte que sa mère la prise dans ses bras en sanglotant. Elle interrogea sa mère sur les raisons de ses pleurs ; mère Dija n’eut pas le temps de répondre que sa fille comprit qu’elle était dorénavant orpheline de père, que le seul homme qui était jusque là son confident et meilleur ami était parti à jamais. Alors elle laissa libre court à ses larmes en se demandant ce qui lui était arrivé.

Chérif était impuissant face à la douleur de sa femme, il essayait au mieux de l’apaiser par des paroles de réconfort, mais rien n’arrivait à arrêter la douleur qui étreignait sa poitrine pas même le prêche de l’imam qui rappelait que la vie d’ici bas est éphémère et que chacun devait prier pour le défunt en attendant son tour car nous répondrons tous à l’appel du Créateur.

Dija savait tout cela et était consciente que ses larmes empêcheront son père de dormir et entraveront l’ascension de son âme vers Dieu ; mais elle ne parvenait pas à les sécher, c’était au dessus de ses forces, elle avait l’impression que quelque chose en elle s’est brisée.

Quelques temps plu tard ils procédèrent à la toilette funéraire, le corps revêtu du linceul enroulé dans une natte de feuilles de palmier fut porté par des hommes direction la mosquée pour la prière funèbre avant l’enterrement.

Au retour du cimetière, Ousmane réitéra sa demanda passée à la mosquée avant la prière du corps à l’endroit de tous les créanciers de son père afin qu’ils se fassent connaître.

Mère Khadija se défit de sa coiffure, se débarrassa de ses boucles d’oreilles pour commencer à observer les 4 mois 10 jours de veuvage avec sa nouvelle tenue blanche qui la distinguera des autres.

Ce texte je l’ai écrit en hommage à ma grand-mère maternelle qui nous a quittés le 1er mars 2019.

A la perte d’un être cher quelque chose en vous se brise, vous pensez ne plus pouvoir vivre, mais avec le temps vous finissez par vous y faire. Il m’a fallut du temps pour me remettre, j’ai vécu dans le déni total noyant ma peine dans la lecture et travaillant comme une forcenée. Jamais mort ne m’a autant surprise et affectée.

Ma grand-mère était une étoile, une lumière dans ma vie ; elle a contribué à parfaire mon éducation, m’a inculquée des valeurs de vie très fortes. D’elle, j’ai appris énormément de choses ( faire du tô, fonio, puiser dans un puits, piler, manier les cardes, regarder et accepter les choses avec lucidité, gérer mieux ma colère…). Une grande partie de mes connaissances sur les traditions et cultures peules je les tiens d’elle…Ma grand-mère était l’incarnation de la femme combative, dégourdie, ingénieuse et pieuse ; elle est l’une de mes modèles de femme. Il paraît que c’est d’elle je tiens ma nonchalance dans la marche, ma « timidité » et mon esprit de partage. Je me souviens lors de mes vacances de 2003, je venais de passer l’examen du CEP, moi assise sur le rebord de son lit tenant un petit carnet que maman m’avait offert et elle sur son tapis de prière. Avec un verbe bien à elle, elle me raconta les péripéties de sa vie et certains contes. C’est l’époque où j’ai commencé à noter tout ce qu’on me disait ou faisait. Elle avait toujours une anecdote pour m’expliquer une situation ou me faire passer un message.

Aujourd’hui, certes je ressens terriblement son absence, mais j’ai accepté que je ne la reverrai plus jamais et je continue à prier pour le repos de son âme ainsi que ceux de tous nos devanciers.

* Dillé: superstition qui présage une mauvaise nouvelle.

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