Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ? Chapitre VIII : le mariage

Article : Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ? Chapitre VIII : le mariage
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22 avril 2019

Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ? Chapitre VIII : le mariage

Père Khadija était sorti de l’hôpital en chaise roulante pour poursuivre sa convalescence à la maison. Entouré des siens, il récupérait petit à petit et se faisait choyer par ses enfants (Khadija et son frère). La présence de ces derniers le rassurait et lui permettait de retrouver le moral, même si l’avenir de sa fille le préoccupait. Il n’avait plus évoqué la cause de son malaise et respectait scrupuleusement les instructions de son médecin; de toute façon il n’avait pas le choix ; sa femme y veillait constamment.

Connaissant l’animosité qu’entretiennent certains membres proches et éloignés de sa famille à l’endroit de sa femme, père Dija avait fait faire tous les documents détaillant la façon dont il léguerait sa richesse (une sorte de testament). En général, chez les Peuls, la fille n’a aucun droit sur l’héritage laissé par son père ; père Dija avait une nouvelle fois brisé les codes en y incluant sa fille. Le document en question était détenu par son meilleur ami avec la consigne de ne le divulguer qu’après son décès. Il avait aussi demandé à son fils aîné de veiller à ce que ses dernières volontés soient respectées.

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Il était environ 17 heures 30, ce samedi 17 mai 2008, le soleil était encore très ardent malgré l’heure avancée. Il y avait un beau monde dans la cour familiale des Diallo, une tente était dressée et de nombreuses chaises installées en plusieurs rangées. Les femmes s’affairaient pour faire la cuisine ; certaines apportaient des gros cailloux et du bois pour mettre le feu, d’autres épluchaient la pomme de terre, les oignons, l’ail, tamisaient la poudre de maïs pour en faire du couscous (latchiri)… L’ambiance et le brouhaha qui y régnaient étaient indescriptibles. Chacun s’activait dans ses tâches. Tout doit être parfait pour le meilleur jour de l’unique fille de M. Diallo. Il y tenait. Chez les Peuls, on accorde beaucoup d’importance aux préparatifs des mets qui seront servis aux invités.

La mère de Khadija faisait de temps à temps des va-et-vient entre la cuisine, la maison et la véranda pour s’assurer que tout se passait bien ou pour donner des consignes sur la façon de s’y prendre avec certaines choses. Elle était toute excitée, joyeuse et il y avait de quoi ; son unique fille se mariera dans quelques heures. Chaque mère rêve de ce jour pour ses enfants !

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Un peu plus loin chez les voisins, couchée sur le dos, plongée dans une interminable réflexion qui devenait éreintante, Khadija observait un point fixe du plafond, chassant de temps en temps quelques moustiques qui bourdonnaient dans ses oreilles, se remémorant ses années d’enfance. Elle aurait aimé redevenir cette gamine casse-pieds, insouciante qui gambadait partout, ou arrêter le temps. Elle aurait aimé avoir le pouvoir de trouver un moyen de stockage dans son cerveau lui permettant de s’en servir et ne choisir que les bons souvenirs.

La tension et le stress (dispute avec Chérif, maladie de son père, démarche pour le mariage) accumulés ces derniers jours n’étaient pas encore retombés. Elle avait perdu du poids mais personne ne s’en était rendu compte. Pas même son papa, qui, d’habitude le remarquait toujours. Tout le monde était euphorique pour son mariage, sauf elle la principale concernée ; même si aux yeux des autres, elle l’était. Son avenir au côté de Chérif l’inquiétait. Elle avait un lugubre pressentiment qui lui serrait le cœur. Elle remettait une nouvelle fois son destin entre les mains de Dieu et priait afin qu’Il lui vienne en aide.

Un peu plus tôt dans la semaine, elle avait reçu une myriade de conseils de sa mère, ses tantes, cousines, grand-mère maternelle, oncles, amies…Tout le monde s’y mettait pour lui dire comment elle est censée se comporter envers son mari et comment prendre soin de lui pour un foyer épanoui. Pour la circonstance, ils étaient tous devenus experts en relations conjugales. Mais ce qui avait marqué et ému Khadija, c’était le tête-à-tête avec son père. Il lui avait rappelé ses obligations envers son mari et prodigué de sages conseils.

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Chérif était en boîte avec des ami.e.s, il y avait une ambiance festive, mais il n’arrivait pas à profiter. Assis dans un coin de la boîte, loin du bruit, toutes ses pensées étaient orientées sur son avenir avec Khadija. Il commençait pour une fois à mesurer le poids de sa décision. Des idées saugrenues et des questions assaillaient son esprit ; des questions qu’il ne s’était jusque-là pas posées. Avait-il sérieusement mûri, soupesé sa décision ? L’avait-il juste prise pour faire plaisir à sa daronne et à son oncle ? Que répondra-t-il à Fatoumata, la fille à qui il avait promis le mariage lors de ses études supérieures en France? Il avait fini par prendre congé de ses ami.e.s et était rentré parce qu’une dure journée l’attendait le lendemain et il n’était plus d’humeur à continuer la fête.

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Aux premiers pépiements des oiseaux avec les premières lueurs du jour, les femmes se levèrent pour continuer la cuisine. Tout devait être fin prêt avant 10 heures, heure convenue pour la célébration du mariage religieux.

La cérémonie religieuse ou « houmo dewouggal » : est scellée à la mosquée ou dans la demeure des parents de la mariée, avec lecture du coran. Pour ce cas, elle fut célébrée dans la maison familiale des Diallo en raison de l’état de santé du père de Dija. La présence du couple n’est souvent pas requise. Les 113 noix de colas (le nombre doit impérativement être impair), furent emballées dans des feuilles avant d’être nouées à la corde.

La façon dont-ils les nouent reste toujours une intrigue pour moi. Il y a une explication autour d’ailleurs qui m’a été donnée par une connaissance :

« ces noix de colas nouées ainsi symbolisent le couple qui doit se soutenir pour ne former qu’une seule personne. Il est plus facile d’unir deux personnes que de prononcer un divorce entre elles, car c’est un droit que Dieu lui-même ne s’est pas arrogé. »

Est-elle plausible ? En tout cas c’est la question que je me pose.

Ensuite, ce fût la présentation de la dot appelé « jawdi yamal » qui est la condition sine qua non pour sceller le mariage. Elle (dot) peut être évaluée en or, en bétail ou en somme d’argent et, est incommutable à la future épouse qui est libre d’en user comme bon lui semble. Chérif avait offert 1 millions de francs guinéens comme dot à sa dulcinée.

Parmi les autres biens qui accompagnaient la dot, il y avait des cadeaux pour les tantes, oncles de Dija et une somme d’argent pour les sages de la mosquée. Après une litanie de bénédictions, l’union Chérif-Khadija fût scellée à jamais. Les parents se félicitèrent ; le repas fût servi et ils immortalisèrent la journée avec des photos.

Pendant que les sages et notables célébraient le religieux, Dija était dans un salon à la Minière pour se refaire une beauté. Au début, elle ne voulait pas de tout ça ; mais face aux arguments et à la ténacité de ses amies, elle se laissa aller. Le résultat ne lui déplut pas, elle était comme une fée dans sa belle tenue de mariée ; Chérif était ébloui par tant de beauté et candeur !

Ils avaient dressé et décoré des tentes dans une des cours voisines à celle de chez Dija pour servir de lieu de réception. L’officier de l’état civil fût déplacé pour la circonstance. Tout se déroulait comme prévu, malgré l’angoisse de Dija qu’elle dissimulait tant bien que mal en feignant un faux sourire.

Il était 18 heures 30 lorsque des femmes vinrent chercher Dija pour la préparer pour les rites du mariage traditionnel.

Mariage traditionnel : Au sein de nombreuses familles peules dont celle de Khadija, il est proscrit de célébrer le traditionnel avant la cérémonie religieuse. Généralement, cette cérémonie se tient au crépuscule après la réception bien entendu si le religieux est déjà célébré. Elle est rythmée par des chants et des danses.

Pour cette étape aussi, il faut une natte neuve, une paire de chaussure, 4 m de tissu blanc qui sera coupé en 2 pagnes, une attache de noix de colas plus et un tissu (complet), le tout mis dans une calebasse qui sera portée par une jeune fille candide. Une nourrice qui n’a jamais divorcé était de la délégation (il semblerait que cela fait partie de la tradition).

Khadija était installée sur un tabouret posé au beau milieu de la chambre de sa daronne. Le tabouret ne doit bouger sous aucun prétexte. Devant elle, est posée une cuvette dans laquelle elle prend ses ablutions ; quelques minutes seulement après la prise de ses ablutions, elle se fit appeler à trois reprises par un de ses cousins qui était l’émissaire, mais elle ne devait pas y répondre et ce dernier lui transmet un message. Ensuite sa tante paternelle « yayé en poular » qui est aussi dorénavant sa belle-mère lui mit le voile et l’aida à attacher le pagne blanc. Et là, on lui prodigua des conseils sur comment mener sa vie conjugale, en plus de ceux reçus il y a des jours. Ces mots revenaient souvent (patience, obéissance, humilité, sagesse, calme et respect).

Enfin on l’a coucha sur la natte pour 1 temps avant d’être changé avec un complet basin rouge revêtu de billets de banque neufs, le tout accompagné d’un parapluie de la même couleur. Dija est enfin prête à rejoindre le domicile marital où une nouvelle vie l’attend au côté de Chérif.

Sera-t-elle heureuse ? Leur union survivra-t-elle aux regards et ingérences de sa belle-mère et ses belles-sœurs ?

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