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Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ? Chapitre VII : la maladie

Plus la date du mariage approchait, plus cela rendait Dija nerveuse et stressée. Pourtant, elle réussissait bien à le dissimuler en feignant d’être enthousiaste à l’idée d’être unie à son cousin.

Au stage, Khadija était très studieuse et s’appliquait toujours avec dextérité pour rendre un travail de qualité. C’est d’ailleurs grâce à sa constance et à son acharnement au travail qu’elle réussit à changer de service. Ce qui lui permit de sortir des griffes de son harceleur de supérieur.

La vie suivait son cours normal au sein des deux familles. Khadija passait de beaux moments dans son nouveau service. Son nouveau chef était très respectueux, strict et exigeant. Ce qui ne déplut pas à Dija. Au contraire, ça l’a poussait à être deux fois meilleure.

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Un peu plutôt dans la matinée, son père avait piqué une crise suite à une conversation téléphonique qu’il avait eue avec un de ses amis qui lui expliquait comment père Dija s’est fait escroquer par son associé dans un projet de construction d’une ferme avicole. L’associé de père Dija avait tout bonnement disparu avec tout l’argent investi par père Dija. Il a été conduit illico dare-dare à la clinique où toute la famille s’est transportée pour être à son chevet.

Après une éreintante journée de travail, d’embouteillages et d’affliction, Khadija rentrait complètement exténuée. Grande fut sa surprise de trouver la maison fermée, elle sortit son téléphone pour appeler sa mère qui n’avait pas jugé nécessaire de la prévenir et cela vexa Dija. Il est bien vrai qu’elle était en froid avec son père depuis l’annonce de la décision de ce dernier. Mais elle ne pouvait concevoir l’attitude de sa mère et elle allait lui en toucher un mot.

Mais pour l’heure, il faut qu’elle se rende à la clinique. Ce n’était pas le moment des reproches, il faut qu’elles restent fortes et soudées pour son père.

Elle appela Chérif pour savoir s’il pourra l’emmener, mais ce dernier ne répondait pas. En chemin, elle appela son frère aîné pour le prévenir, ce dernier était déjà au courant et cherchait un billet pour rallier Conakry. Beaucoup de questions se bousculaient dans sa tête “Et s’il était déjà mort ? Il était bien portant le matin, comment cela lui est arrivé ?”.Elle pleurait en silence tout en implorant Dieu de lui garder encore son père. Elle ne supporterait pas de le perdre de sitôt. Elle réalisait de nouveau combien de fois l’Homme n’avait aucune emprise sur son destin, combien tout peut s’écrouler en une fraction de seconde.

Arrivée à la clinique, Dija fut contrainte d’attendre de longues minutes avant d’accéder à la salle. Sa mère était de dos, assise sur le lit, les yeux rougis à force d’avoir pleuré. Sans dire mot, Dija approcha le cœur serré et la gorge nouée. Son père était relié à des machines et se faisait alimenter par une sonde. Dija tapota l’épaule de sa mère, cette dernière prit le temps d’essuyer ses larmes avant de se tourner vers sa fille. Elle expliqua les circonstances dans lesquelles son mari s’est retrouvé entre la vie et la mort et tenta de rassurer sa fille que tout irait mieux. Mais ça se sentait dans sa voix qu’elle n’était pas aussi convaincue qu’elle pouvait le faire croire. Khadija sortit de la salle en trombe, manquant de renverser Chérif, elle alla se réfugier dans les toilettes et laissa libre court à ses émotions.

Plus les jours passaient, plus la santé de père Dija se détériorait. Il restait encore un mois avant le jour-j de son mariage et Dija n’avait pas du tout l’esprit à la fête. Même à son stage, cela se sentait, ses performances avaient nettement diminué. Elle était tout le temps perdue dans ses réflexions et s’adonnait davantage à la prière surérogatoire, surtout la nuit.

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Chérif était très présent pour la famille mais surtout pour Khadija. Chaque soir, après le service, il passait la voir et sortait prendre de l’air avec elle pour l’aider à se changer les idées. Cette situation les avait énormément rapprochés. Il parvint rapidement à déceler les nombreuses qualités que regorgent Dija ; la douceur dans son regard, la bonté de son cœur, sa pudeur, sa combativité, son sens de discernement et surtout son attachement à la prière. “Comment ne pas l’aimer ? Je ferai tout mon possible pour la rendre heureuse”, se dit-il !

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Père Khadija était sorti du coma et avait retrouvé l’usage de la parole. Mais il était encore très faible et le diagnostic du médecin était sans appel. Il allait perdre l’usage de ses membres inférieurs. En fervent croyant, il se remit à la volonté de Dieu et accepta son sort, mais il fallait qu’il fasse quelque chose parce qu’il était persuadé au fond qu’il n’allait pas survivre pour longtemps à ce choc. Il demanda à voir Chérif. Ce dernier arriva 2 heures plu-tard. Père Dija demanda à ce qu’on les laisse seuls pour un tête-à-tête entre hommes. Dija, sa mère et son frère s’exécutèrent.

Père Dija tapota le lit pour inviter Chérif à s’asseoir près de lui. Ce dernier s’exécuta ! C’est lui d’ailleurs qui brisa la conversation. Même s’il ne le dit pas ouvertement, Chérif a toujours été intimidé par son oncle, il est aussi très reconnaissant de tous les efforts fournis par ce dernier pour lui assurer un meilleur avenir. C’est en partie grâce à son oncle s’il avait pu finaliser ses études.

Alors Kaou, comment vous vous sentez ?

Hamdoulilah, je me sens bien mon garçon ! Je sais que tu dois te demander pourquoi j’ai voulu avoir cette discussion avec toi, mais j’ai jugé nécessaire de discuter avec toi une seconde fois avant votre mariage, vu qu’il ne reste que deux semaines maintenant. Les chances que je puisse y participer sont très faibles. Je ne suis divin mais je sais que je ne me relèverai pas de cette maladie…

Soubhanallahi mon oncle ! Ne dis pas ça Kaou, tu vas guérir et vivre encore plus longtemps avec nous et tenir tes petits-enfants.

J’aurais adoré mon garçon, crois-moi, mais tout ce que Dieu fait est bon. Chérif, le mariage est un chemin long et épineux. Accepter de partager sa vie dans toute sa dimension sur tous les plans avec une autre personne n’est pas chose aisée. Surtout lorsqu’elle n’est pas notre choix. Seule la prière, la communication, la patience, l’endurance et l’acceptation des défauts de l’autre vous permettront d’avancer et d’avoir un foyer épanoui. Tout ne sera pas rose, des hauts et des bas vous en connaîtrez. Les relations humaines, quelles qu’elles soient peuvent être tendues et compliquées parfois, il faut savoir ménager son prochain et être patient.

Joignant les deux mains de son neveu, il conclut en ses termes : Khadija est la prunelle de mes yeux, la plus belle chose qui me soit arrivée dans ma vie et je n’ai aucun doute quant à sa bonne éducation et à sa piété. Je t’en conjure, prends soin d’elle, je ne reposerai pas en paix en sachant ma fille malheureuse. Avant d’être ton épouse, n’oublie pas qu’elle est ta sœur, alors traître-la avec respect. Ne lève jamais la main sur elle. Ce que le dialogue n’a pas pu résoudre, ce n’est pas la violence qui le fera. Le jour où tu sentiras qu’il n’est plus possible de vivre avec elle, s’il te plaît, rends lui sa liberté.

Il posa sa main droite sur la tête de Chérif et lui fît beaucoup de Dou’as.

Chérif sortit de la salle tout ému.

Respectera-t-il les dernières recommandations de son oncle ? That’s the big question !


Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ? Chapitre VI : la rencontre

Khadija, après des semaines de réflexion avait fini par faire part de sa décision d’accepter son union avec Chérif à son père. Ce dernier était partagé entre la joie et les regrets : heureux que sa fille ne lui ait pas désobéi, mais rongé par les regrets parce que conscient que sa décision les avait finalement éloignés, l’un et l’autre. Et cela lui était insupportable.

Père Khadija et tante Ramatoulaye avaient eu recours à un érudit pour faire du « listikar » afin de déterminer le jour propice à la célébration du mariage. Ce dernier leur avait suggéré la date du 18 mai 2008. Une réunion familiale fut de nouveau convoquée et tous les autres membres s’accordèrent sur la date.

Khadija et Chérif furent de leurs côtés informés par leurs parents respectifs. Chérif attendit des jours pour voir si Khadija le contacterait pour une éventuelle rencontre. N’ayant pas eu de nouvelles d’elle, il prit les devants et fixa un rendez-vous en fin de semaine pour un dîner après le service. Cela leur permettra de mieux échanger loin du cocon familial et de toute pression.

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Khadija avait passé une nuit blanche à se demander quelle attitude adopter lorsqu’elle sera face à Chérif. Il était 5h lorsque l’alarme de son téléphone retentit. Elle se précipita de l’arrêter et sortit du lit pour se rendre dans la cuisine afin de faire la vaisselle. Malgré la présence d’une femme de ménage, Khadija ne dérogeait jamais à la règle instaurée par sa mère. Pour elle, c’est aussi une façon de déstresser avant de se rendre au bureau chaque matin. Elle prit une douche, fit sa prière de « Fadjr », avant de s’apprêter pour le boulot.

Vêtue d’une longue et belle robe en « leppi », la belle Khadija arriva à son service 30 min avant l’heure, bien plus rayonnante que d’habitude. Depuis le début de son stage, elle se donne à fond et travaille comme une forcenée pour obtenir de meilleurs résultats en espérant que cela débouche sur une embauche. Seulement, Khadija se fait constamment harceler par l’un de ses supérieurs qui avait des vues sur elle. Il la menaçait souvent de renvoi et trouvait toujours un moyen de la mettre hors d’elle. Khadija ne se laissait pas aller à ce jeu. Elle réussissait à garder son calme à chaque fois qu’il tentait une approche ou qu’il essayait de la ridiculiser devant ses collègues. Elle est restée droit dans ses bottes et n’a jamais flanché ; du moins pas pour le moment. Il lui restait encore 2 mois à tenir. 

Du haut de ses 24 ans, Khadija était très mature et forte. Elle laissait rarement transparaître sa douleur, ou ses émotions prendre le dessus sur sa raison.

Pour la rencontre avec Chérif prévue à 18 heures, Khadija avait une boule dans le ventre et sentait que sa journée sera un peu plus mouvementée que d’habitude.

Assise face à une pile de dossiers à finir avant l’heure de la descente, Khadija regardait d’un coin de l’œil son téléphone posé sur la table guettant l’appel de Chérif. Même avec la climatisation, elle suait à grandes gouttes, ce qui était inhabituel et trahissait chez elle le stress lié à rencontre. Elle exhala un autre soupir avant de se replonger de nouveau dans ses dossiers.

Cela dit, Khadija ne comptait pas laisser son humeur entacher la crédibilité de son travail. C’était une perfectionniste née et elle s’assurait toujours de bien faire les choses, une autre qualité qu’elle tient de son père.

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Chérif, derrière son bureau comptait les minutes qui lui restaient. Même s’il refusait de se l’avouer, cette rencontre l’angoissait aussi. Et la timidité de Khadija vis-à-vis de lui ne lui facilitera certainement pas la tâche, se disait-il. Mais voilà, il s’est engagé auprès de sa mère à tout faire pour que les choses marchent et il compte bien tenir parole.

Enfant, il a été témoin oculaire des nombreuses souffrances endurées par sa mère. Ses oreilles ont capté et entendu les douleurs des coups que son père infligeait à sa mère. Il a vu son père exercer une violence inouïe sur sa mère sans même sourciller. Cela l’a rendu plus tenace, travailleur, perspicace, autoritaire et très renfermé. Cette période de sa vie a été très traumatisante. Obnubilé par la réussite, Chérif après l’obtention du concours d’entrée dans les institutions d’enseignement supérieur, se voit accorder une bourse pour la poursuite de ses études à l’extérieur. C’est ainsi qu’il partit à la quête du savoir en se promettant de réussir pour panser les blessures de sa mère et transformer ses peines en joies. C’est d’ailleurs l’envie d’être proche de sa mère, de veiller à son bien-être et d’assurer sa protection qui a motivé son retour au pays après ses études.

Chérif ne voulait pas non plus de ce mariage, mais les désirs de sa mère sont des ordres pour lui. Rien ne lui rend plus heureux que de voir le visage de sa mère rayonner de bonheur et peu importe les sacrifices à consentir pour cela, il est prêt à le faire.

A travers les fenêtres de son bureau, Chérif regardait d’un air pensif Kaloum, le centre administratif et des affaires de la capitale guinéenne, se demandant si Khadija arrivera un jour à vaincre sa timidité et sa pudeur.

Peut-être je dois commencer par la mettre en confiance”, se dit-il, toujours l’air pensif !

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Khadija venait de sortir des locaux de l’entreprise lorsque son téléphone se mit à sonner. Elle hésita quelques minutes avant de répondre : à l’autre bout du fil, Chérif

Allô Khadija ?

Oui Koto Chérif, je viens de finir mon boulot.

OK ! Je passe te chercher alors !

Non, je vais me débrouiller. Ne laissant même pas le temps à Chérif de répondre, Khadija raccrocha le téléphone avant de s’engouffrer dans un taxi.

Chérif arriva le 1er au lieu de rendez-vous, très furax contre Dija. Mais il préféra ne pas s’attarder dessus pour ne pas envenimer les choses entre eux, alors qu’ils sont censés discuter de leur avenir commun.

En rentrant dans le resto, Khadija aperçut Chérif qui était de dos et visiblement très occupé par sa conversation téléphonique. Au point qu’il n’avait pas remarqué l’arrivée de sa cousine. Dija voyant la tenue que porte Chérif ralentit dans sa marche et écarquilla les yeux et murmura “Pourquoi il a fallu qu’il porte la même chose que moi ? Il ne manquait plus que ça !”

Bonsoir Koto Chérif !

Enfin, il n’était pas trop tôt ! Je pensais que la ponctualité était l’une de tes caractéristiques.

Oui, mais j’ai eu quelques difficultés à trouver un taxi. 

Tu savais cela avant de m’empêcher de venir te chercher. Ton alibi n’est pas valable jeune fille ! Bref, elle a été ta journée ?

Il fallait commencer par ça”, pensa Khadija !

Elle s’est bien passée et la tienne aussi ?

Très bien aussi de mon côté. Alors, on commande !

Khadija était très tendue et Chérif l’avait bien remarqué. Tête baissée, elle piochait dans son assiette et jetait un regard furtif de temps à autre vers Chérif.

Chérif usa de son humour pour décontracter l’atmosphère, ce qui eut le don d’arracher un sourire à Dija.

Dija, je ne sais pas comment te le dire, mais cette situation me déplaît aussi. La vérité c’est qu’on a tous les deux été entraînés dedans par nos parents. Je ne peux pas revenir en arrière pour faire annuler les choses, même si je le pouvais. Je ne suis pas sûr que je le ferai parce que tu vois, je ne peux et vais jamais désobéir à maman.

Ils ne nous ont pas laissés le choix, mais on fait ce qu’on estime être juste pour les rendre heureux. Moi aussi, je ne te le cache pas cette situation a failli me rendre folle, mais j’ai fini par accepter et m’y faire finalement.

J’aimerais te promettre que tout ira pour le mieux, qu’on aura une vie heureuse ensemble, mais je ne peux pas prédire l’avenir. Par contre, je te promets de prendre soin de toi et d’être un homme juste. Le reste, Dieu s’en charge !

Koto Chérif, la seule chose que je veux que tu me promettes c’est de me laisser travailler, gagner ma vie et être indépendante. Le reste, comme tu l’as dit, Dieu et le temps s’en chargeront !

Pour la cérémonie de mariage, je la veux simple, sobre dans le strict respect de la religion.

C’est comme tu veux ! De toute façon, c’est une histoire de femmes tout ça. Allez, je te ramène avant que mon oncle ne commence à s’inquiéter, même s’il sait que tu es avec moi.

Parlant de papa, je crois savoir que vous avez discuté. Si ce n’est pas indiscret, je peux savoir de quoi il s’agissait ?

Désolé, mais c’est non ! C’est une discussion d’adultes et toi tu es encore enfant (rires).

Dans l’habitacle de la voiture de Chérif, seule la voix mélodieuse de Corneille résonnait. Le dossier de son siège relevé, Khadija, le bras appuyé sur l’accoudoir était perdue dans ses pensées. Enfin soulagée et bien consciente que dans quelques semaines une nouvelle vie démarre pour elle.


Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ?  Chapitre V: vers les compromis…

Après la longue discussion entre mère et fille, Khadija sortit prendre de l’air. Elle déambulait dans les rues de son quartier, quelques étalagistes mal éclairés par une lampe tempête vendaient encore des beignets, des oranges, des bananes… Un peu plus loin, des enfants jouaient au cache-cache. Leur insouciance intriguait Dija. Elle se rappelait encore sa petite enfance où elle s’évertuait à donner du fil à retordre à ses frères. « Ah la belle époque », soupira-t-elle ! Si seulement, elle avait les moyens de revenir en arrière et de redevenir cette petite fille têtue.

Une brusque coupure de courant plongea le quartier dans un noir de jais. Ce qui interrompit net la petite balade de Dija. Il était 21 heures lorsqu’elle décida pourtant de rentrer. Il y a quelques années encore, elle ne pouvait pas se permettre de rester dehors jusqu’à cette heure. Il faut croire que de ce côté, son père a changé. Va savoir pourquoi !

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Voilà un mois depuis la fameuse nuit où son père lui annonça son mariage avec Chérif. Khadija continue encore à repousser sans cesse le jour de sa rencontre avec Chérif. Ses appréhensions et sa peur l’empêchaient de prendre l’initiative, de faire le premier pas. Secrètement, elle priait pour qu’un miracle se produise, que Chérif décide de désobéir à sa mère. Mais elle sait aussi qu’il était vain d’espérer ! Même si elle remuait ciel et terre et taillait en pièces l’univers, rien ne fera vaciller la décision de son père. Autant accepter, oublier la vie qu’elle avait planifiée et vivre celle qui l’attend finalement.

Il va falloir qu’elle ait cette discussion avec Chérif pour accorder leurs violons, faire des compromis. Qui dit mariage dit compromis en effet ! Mais qu’est-ce que Dija déteste les compromis ! Surtout lorsqu’il s’agit de renoncer à des choses qui lui tiennent à cœur ou qu’elle croit mériter. Néanmoins, il y a des choses sur lesquelles Dija restera intransigeante et elle compte bien le faire savoir à Chérif.

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Attablée pour le dîner avec ses parents, Khadija n’avait pas vraiment l’appétit mais pour sauver les apparences et pour ne pas trop inquiéter sa mère, elle s’efforçait d’avaler quelques cuillerées. Son père, quant à lui, s’en voulait énormément d’avoir infligé tout cela à sa fille. Mais il était certainement trop tard pour les regrets. A cause de sa décision, sa fille était devenue distante avec lui, elle ne lui parlait plus de ses projets. S’il pouvait revenir en arrière, il aurait certainement réfléchit n fois et remuer 7 fois sa langue avant de donner son approbation à sa sœur. Il ne savait pas que les choses allaient prendre cette tournure. Maintenant, tout ce qui lui reste c’est de trouver un compromis avec sa sœur et son neveu qui lui permettra peut-être de se racheter auprès de sa fille. Il fera tout pour la voir heureuse et effacer cette douleur qu’il lui a infligée. Quelles seront ses conditions ? Quelles seront celles de Khadija ?


Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ?  Chapitre IV: le fin mot de l’histoire

Dans la vie, il y a ce que nous ressentons, ce à quoi nous aspirons, et il y a la réalité. La réalité était en train de mettre en lambeaux les ambitions et désirs de Khadija. Toute cette histoire l’avait éprouvée, sa rencontre avec Ousmane lui avait laissé un goût amer. Khadija ne l’imaginait capable de lui jeter à la figure toutes ces inepties. Les paroles d’Ousmane lui avait valu de longues nuits plates, fades et sans sommeil, des hectolitres de larmes versées dans la solitude de sa chambre. Khadija avait essayé en vain, à maintes reprises de le joindre pour l’expliquer. Mais il ne voulait rien entendre. Au point qu’il avait fini par filtrer le numéro de Khadija. Lasse de le harceler, elle se résigna, abandonna et décida de se faire une raison en se consolant avec cette phrase « Il faut se résigner et accepter son impuissance. On a beau tout donné, mais parfois ça ne sert à rien ». Peut-être c’est une façon pour le ciel de lui ouvrir les yeux sur l’homme pour lequel, elle était prête à tout. « Un bien pour un mal. Il est temps pour moi de mettre une croix sur toi, Ousmane se dit-elle! » Seulement, c’était plus facile à dire qu’à faire ! Ses pensées la trahissaient aussi souvent que possible. Les souvenirs étaient toujours là. Khadija l’aimait si naturellement, qu’elle se surprenait à trouver des justifications à son attitude. Pourtant, rien ne pouvait excuser son comportement. Il avait juste qu’à l’écouter, à lui prouver qu’il avait confiance en elle, à leur amour. Mais au lieu de tout ça, il a choisi d’éteindre la flamme de son affection, brider ses émotions. Quel égoïsme !

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Deux semaines s’étaient écoulées depuis ce fameux soir, Khadija avait commencé son stage sans grand enthousiasme. C’est comme si on lui avait ôté toute joie de vivre. Ce stage lui permettait à de rares fois de fuir son tête-à-tête avec son moi tourmenté.

C’était le week-end, l’immuable quotidien suivait son cours normal dans la famille Diallo. Khadija n’avait pas fermé l’œil la veille, l’aurore la trouva les yeux écarquillés dans la pénombre. Elle se tordait de douleurs, heureusement qu’elle n’ira pas bosser. Elle était dans sa période, ses hormones menstruelles mal lunées lui faisaient terriblement souffrir. Elle détestait cette période, devenait hystérique avec une humeur massacrante. Khadija est une lève-tôt, elle se permet rarement les grasses matinées, les seules fois où elle se le permet malgré elle, c’est lorsqu’elle voit ses règles. Ce matin, elles sont plus douloureuses, sa mère lui fît une infusion salée avec du gingembre râpé, de la mélisse et la poudre des graines de selim, le tout dilué dans de l’eau chaude. Ce qui calma les douleurs et permit à la jeune fille de sortir de son lit. Sa mère lui dispensa de la cuisine et lui accorda une journée de repos. Khadija se plongea dans la lecture de son bouquin. La musique, la lecture et la mer ont toujours eu le don de l’apaiser et de la calmer.

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Dans la soirée, Khadija prit un bain et sortit pour s’asseoir au balcon en observant des petits oiseaux insouciants qui picoraient quelques graines de fonio. C’est ce moment que choisit sa mère pour faire son apparition et demander à Dija de sortir une chaise et un tabouret pour qu’elle lui fasse des nattes. Le stress quotidien au boulot, associé à celui qu’elle traîne depuis des semaines lui ont empêché de poser la question qui turlupinait son esprit après la réunion familiale. En voilà, une belle occasion qu’il faille saisir pourvu que cela ne finisse en dispute se dit-elle. Il lui faut trouver une meilleure façon de formuler de manière à livrer le fond de sa pensée, sans offusquer sa daronne.

A l’aide d’un piquant de porc-épic noir strié de blanc appelé en poular « koural saghaldai », mère Khadija traçait des raies pour faire des nattes à sa fille. La capacité de sa mère à conserver des choses « anciennes » ne cessera jamais de l’étonner. Quoique les piquants de porc-épic ne servent pas qu’à tracer des raies, elles sont aussi utilisés pour le traitement de maladies (les maux de dos entre autres).

Mère Khadija s’y prenait avec habileté et douceur, évitant de faire mal à sa fille. Même si elle ne le disait pas, mais la situation de Khadija la peinait. Elle aurait aimé avoir une machine à remonter le temps pour revenir à ce fameux jour, tenir tête à son mari et l’empêcher de faire cette promesse. Mais l’eau a coulé sous les ponts et il va falloir faire avec. Khadija la sortit de sa réflexion en faisant une grimace indiquant à sa mère qu’elle lui avait fait mal. Cette dernière s’excusa ce qui ouvrit la voie à Khadija pour sa question.

– Maman,je veux te poser une question mais promet-moi de ne pas te fâcher 

– Si ta question n’est pas offensante, je te le promets.

– Pourquoi papa a fait cette promesse à tata Ramatoulaye ? Je sais qu’il lui voue un respect religieux mais…elle mit sa phrase en suspens en se rendant compte que ce qui allait suivre n’allait pas plaire à sa mère.

– Comme tu le sais déjà, ton père et ta tante sont les seuls enfants que ta grand-mère a mis au monde. En tant qu’aînée, ta tante Ramatoulaye a dû renoncer à ses rêves pour que ton père réalise les siens. Elle s’est mariée à l’âge de 21 ans, ton père n’avait que 14 ans encore, et la situation sanitaire de ta grand-mère ne s’améliorait pas. Ta tante a passé 5 ans sans faire d’enfants. Elle a du faire face à beaucoup de brimades, a reçu de nombreux coups de la part de ses belles-sœurs qui la traitaient souvent de terre aride et infertile. Son mari n’a jamais levé le petit doigt pour la protéger. C’est comme si ses sœurs avaient sa bénédiction. Sa coépouse avait, elle, fait deux enfants entre temps.

Ta tante Ramatoulaye supportait à huis clos, elle souffrait en silence, se laissant marcher dessus pour conserver son statut d’épouse. A cette époque, une femme divorcée était encore plus mal vue par la société qu’une stérile. A chaque fois qu’elle venait se plaindre auprès de tes grands-parents, ceux-ci lui rappelaient son devoir de femme : elle doit être une éponge qui absorbe tout sans exploser. Seulement ton père vivait mal cette situation, voir sa sœur défigurée, avec des bosses, ces ecchymoses sur le visage le rendaient fou de rage et impuissant. Un beau matin de l’an 1979, alors âgé de 20 ans, ton père, poussé par une force extérieure, persuadé de pouvoir changer le cours des choses, et de mettre fin aux souffrances de sa sœur, commit la terrible erreur de se rendre dans le foyer de cette dernière pour la sortir des griffes d’une famille impitoyable. Ta tante Ramatoulaye était enceinte de Chérif et personne ne s’en était rendu compte, pas même elle. Il menaça son beau-frère d’en finir avec ses jours s’il s’avisait de nouveau à lever la main sur sa sœur. Au cours des tiraillements, ta tante trébucha et faillit perdre sa grossesse. Cette intervention de ton père aggrava la situation de tante auprès de son mari et de ses belles-sœurs. Informés, tes grands-parents remontèrent les bretelles à ton père et lui firent promettre de ne jamais s’immiscer dans la gestion du foyer de sa sœur.

Ta grand-mère rendit l’âme 3 mois après la naissance de Chérif, 2 mois seulement après mon mariage avec ton père. Rongé par la culpabilité, à laquelle s’ajoutait la promesse faite à ta grand-mère dans son lit de mort, ton père décida de tout faire pour rendre sa sœur heureuse, quitte à renoncer à son propre bonheur. Et c’est sans difficulté qu’il fît la promesse à ta tante lors de ma grossesse.

Khadija avait écouté religieusement le récit de sa mère. Une émotion indescriptible lui coinçait la gorge. Quelle histoire s’exclama-t-elle!

Elle ne comprenait pas la décision de son père, mais n’allait plus essayer de démêler les fils d’une situation inextricable qui n’était pas de son fait. Dorénavant, elle était plus disposée à l’accepter. Il fallait maintenant qu’elle ait une discussion avec Chérif à propos de ce mariage.


Destin Sacrifié, et si on m’avait laissé le choix ?  Chapitre III: Les vérités qui fâchent

Les effluves de la sauce embaumaient la cour familiale des Diallo. Khadija est celle qui est censée faire la cuisine les week-end. Une règle instituée par sa mère alors que la fille n’avait que 15 ans et qu’elle n’a jamais eu de la peine à respecter. Tout au contraire, elle en tire l’origine de la passion qu’elle a désormais pour la cuisine. Aussi, elle en est devenue un véritable cordon bleu. Fredonnant une des chansons de l’artiste Lama Sidibé, Dija s’appliquait avec dextérité dans ses tâches.

Après sa petite discussion matinale avec sa mère, sa conscience lui faisait encore des reproches. Elle éprouvait un subtil besoin d’aller présenter ses excuses à sa daronne. Mais quelque part, au fond d’elle, une petite voix lui susurrait d’attendre d’avoir le fin mot de l’histoire. Son égo aussi avait pris un coup.

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Il lui restait quelques heures encore avant son rendez-vous avec Ousmane, et il lui fallait passer au cyber pour échanger avec son frère aîné. Il y a des choses qu’elle doit élucider avec ce dernier. A cette époque, internet était un luxe que beaucoup de familles ne pouvaient s’offrir. Bien qu’ayant un ordinateur qui lui avait été offert par son père en 2005, et un téléphone en 2006, avec l’arrivée de la société de téléphonie mobile areeba (actuel MTN), Khadija parcourait chaque samedi le trajet Nongo-Matoto pour se rendre au cyber Mouna afin de se connecter et discuter avec ses frères sur Skype.

Khadija, sortit du cyber complètement déboussolée, la conversation avec son frère n’a pas eu les résultats qu’elle escomptait. Elle se sentait trahie, ce qui décuplait encore plus sa rage envers les siens. « Que me cache-t-on d’autre? A quoi devrais-je m’attendre ? ». Néanmoins, cela lui a permis de cerner certaines choses, mais il lui manquait encore certaines pièces du puzzle. Elle était rassurée de savoir que ses frères la soutiendraient, quoi qu’il en soit et quelle que soit sa décision. Dans sa furie, elle manqua de heurter quelqu’un, elle s’excusa et continua son chemin.

Il lui fallait impérativement discuter avec Chérif pour avoir sa version et savoir à quoi s’en tenir avant de prendre sa décision finale. « Comment je vais m’y prendre pour lui parler, il me fout la trouille? Ah papa dans quoi tu m’as mis ? Comment épouser une personne qui m’inspire la peur ? Vais-je réussir à soutenir un jour son regard ? ». Les questions se bousculaient dans sa tête.

Elle cherchait à héler un taxi lorsque l’objet de ses pensées surgit de nulle part. Il s’avança vers elle et lui tendit la main, Dija hésita un instant avant de la prendre. Leur échange a duré plus que d’habitude. Dija a toujours été intimidée par Chérif sans savoir le pourquoi.

  • Salut Dija, tu vas bien ? On dirait que ‘’as le diable à tes trousses ? Tu vas où, aussi pressée ? Ma tante et mon oncle se portent bien ?

  • Tchiée ! Une question à la fois murmura t-elle! Je vais voir un ami à Lambandji et après je rentre.

  • Chérif perplexe : Je vois ! Viens je t’y emmène !

  • Non, merci je vais me débrouiller en taxi.

  • Sois prudente alors !

  • T’inquiète!

  • Passe le salam à tout le monde. On se voit le week-end prochain à la réunion familiale.

 

« De quel réunion parle t-il encore ? Pourquoi je suis toujours la dernière à être mise au courant des choses dans cette famille ? ». Inch’Allah, bonne soirée Koto Chérif.

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La ponctualité était l’un des caractères de Khadija. Elle détestait arriver à retard à un rendez-vous. Il lui restait encore 30min pour faire le trajet.

Dans le taxi, Khadija se tournait les pouces, appréhendant la réaction d’Ousmane. Elle le sait de nature impulsive. L’envie de rebrousser chemin et de tout lui dire au phone la traversa l’esprit, mais elle trouvait cela lâche.

C’est une Khadija angoissée qui arriva sur le lieu. Face à la mer, en attendant Ousmane, elle se demandait comment aborder le sujet ? Elle était dans son monologue quand on lui tapota l’épaule ; ce qui la fit sursauter.

  • Ousté, t’es là depuis combien de temps?

  • Assez pour avoir entendu quelques bribes de ton monologue. Je n’ai pas saisi certaines choses, mais tu parlais de moi, de ma réaction et de mariage. Alors, tu me dis de quoi il s’agit ? Tu as finalement parlé avec tes parents et je parie qu’ils sont contre notre union.

  • Ne te méprends pas. Mes parents ne sont pas au courant pour nous et je pense que ça ne risque pas d’arriver.

  • De quoi tu parles ? Qu’est-ce qui te contrarie alors ?

  • Tu te souviens de mon cousin Chérif qui vivait en Belgique, il est de retour depuis des mois et j’ai appris hier soir que je suis sa promise pour un mariage.

  •  Mensonges, mensonges…….tu veux me faire gober que t’étais pas au courant. Je comprends maintenant pourquoi à chaque fois que tu parles de lui tes yeux noirs scintillent comme des étoiles. En fait, tu m’as fait passer pour un idiot tout ce temps. Je te croyais si différente de toutes ses autres filles. Mais il faut croire que je me suis fourvoyé. A quoi je m’attendais ? Nous ne venons pas d’un même village et mieux que ça ma famille n’est pas aussi nantie que la tienne.

Dija jusque-là l’observait sans piper mot. Au plus tréfonds d’elle, Khadija avait mal, mais elle ne voulait pas laisser transparaître sa douleur devant Ousmane. La réaction d’Ousmane l’a prise au dépourvu. Elle ne le croyait pas capable de lui jeter toutes ses choses à la face, même si elle ne lui en voulait pour autant.

  • Tu me permets de t’expliquer ou tu vas continuer à me traiter de tout et m’accuser pour une chose que j’ignorais depuis tout ce temps.
  •  Dija, tu sais quoi tu peux te mentir autant de fois que ça te plait, mais de tes explications je m’en moque éperdument. Je regrette juste le jour où je t’ai rencontrée et d’avoir perdu mon temps à espérer fonder une famille avec une personne aussi égoïste que toi.

Sur ce, Ousmane partit sans un regard pour Khadija et sans lui accorder le bénéfice du doute. Leur amour avait pris fin sur ces entrefaites.

Regard terne et vide, Khadija n’en revenait pas, comment a-t-il pu avoir le toupet de la traiter d’égoïste ? Un filet de sueur froide lui coula entre les omoplates. Elle était en colère. C’est peu dire. Elle bouillait de rage. Une rage qui se transforma en un rire sarcastique. Tout était devenu hilarant à ses yeux. De loin, plusieurs paires d’yeux l’observaient et elle les entendait gouailler. Mais elle n’en avait que faire du regard des autres. Sa vie était un désastre depuis un peu moins de 24h. Tout ça à cause d’un fichu mariage qu’elle n’est pas prête à accepter.

C’est la voix du muezzin pour l’appel à la prière de Maghreb, et les gargouillis de son estomac qui rappelèrent à Khadija qu’il était tant de rentrer à la maison.